La musique militaire à Québec - Espace Événementiel MMVQ
Manège militaire Voltigeurs de Québec Manège militaire Voltigeurs de Québec

23 janvier 2020

La musique militaire à Québec

Le Manège

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Fanfare militaire à Québec près du Manège militaire, 1925. Photo : J. E. Livernois Ltée. Musée de la civilisation, fonds d'archives du Séminaire de Québec, PH2000-12067.

La musique a toujours fait partie de la sphère militaire. Traditionnellement, ses tambours et ses mesures bien réglées jouaient même un rôle essentiel de la performance militaire, en rythmant la marche et les diverses manœuvres des armées lors des combats. Mais saviez-vous qu’au-delà de son application sur les champs de bataille, la musique militaire a fortement influencé la musique civile de Québec ? Étant une ville de garnison, Québec bénéficie en effet d’un grand nombre de défilés, performances publiques et autres «tattoos» militaires. Les formations musicales régimentaires ont donc été au cœur de la vie musicale de Québec entre les 17e et 20e siècles.

Vie musicale en Nouvelle-France

La musique militaire est omniprésente de Québec dès l’époque de la Nouvelle-France. S’agit-il vraiment de «musique»? En fait, on se limite aux fifres (petites flûtes en bois)  et aux tambours.

Le timbre aigu et puissant du fifre permet de donner la ligne mélodique, que les soldats peuvent aussi chanter. Placés en tête, les tambours définissent la cadence, soit le nombre de pas d’un soldat par minute, avec des temps précis pour les marches lentes et rapides. En plus de presser ou ralentir la marche, ils peuvent aussi rappeler autour du drapeau tous les hommes dispersés. Les joueurs de tambours portent des uniformes distinctifs bleus et rouges richement galonnés. Leurs tambours, peints en bleu, sont ornés de fleurs de lys jaunes.

Tambour des Compagnies franches de la Marine. Gouache originale : André Jouineau. Source: imagesdesoldats.forumactif.com.

Par exemple, dans les années 1660, chaque compagnie du régiment de Carignan-Salières (premières troupes régulières au Canada) comprend deux tambours et un fifre. François du Moussart Gugnot dit Le Tambour et Jean Casavan, trompettiste (et ancêtre des célèbres facteurs d’orgues Casavant) sont parmi les premiers musiciens militaires du Canada. Quelques décennies plus tard, les compagnies de grenadiers des régiments d’infanterie compteront deux fifres.

Les musiciens militaires jouent aussi un rôle auprès de la population civile. Les soldats font retentir les tambours et les flûtes lors de fêtes ou de réjouissances diverses, par exemple à l’Épiphanie, mais, surtout, la vie quotidienne est rythmée par les tambours ! Tous les matins, au point du jour, le tambour en faction au corps de garde monte sur le rempart et fait entendre la «Diane», qui signale le réveil de la garnison… et, par le fait même, celui de la population. Au fil des heures, «L’Assemblée» se fait entendre à quelques reprises afin d’avertir les militaires de rejoindre leur corps pour des exercices. La «Retraite», qui roule au coucher du soleil, avertit la population de la fermeture imminente des portes de la ville, tandis que «L’Ordre» signale qu’elles sont closes. Un autre appel de tambour, le «Ban», annonce au public la lecture des ordonnances et des règlements et même des ventes par encan.

De l’influence française à l’influence britannique

La Guerre de Sept ans et l’arrivée massive de troupes britanniques influencera évidemment la pratique de la musique militaire, tant à Québec que dans les autres villes de garnison. Désormais, la musique militaire est assurée par des ensembles régimentaires de l’armée britannique. Si le tambour et la flûte étaient déjà bien connus de la population locale, de nouveaux instruments font leur apparition. Arrivé en 1761, le 78e Fraser Highlanders possède au moins 30 sonneurs de cornemuse et tambours. Avec les autres compagnies des Highlands postées ailleurs au Canada, ces musiciens et leurs successeurs contribueront à maintenir la tradition de la cornemuse. Le clairon remplace progressivement le tambour dans les régiments d’infanterie légère et de carabiniers.

C’est à la fin du 18e siècle que des corps de musique régimentaires plus importants sont envoyés au Canada. Madame Simcoe, femme du premier lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, organise une danse à Québec en 1792, où sont conviées une quarantaine de personnes. Dans son journal intime, elle précise que les musiciens du 7e Royal Fusiliers « aiment tous la musique et la danse et, pour donner des bals et des concerts, ils déboursent autant d’argent que d’autres régiments dépensent habituellement pour le vin, ce qui les rend très populaires dans cet endroit où la danse est un divertissement très prisé. »

Les ensembles militaires

Au 19e siècle, il existe deux types de formations musicales associées à l’armée : les musiques de manœuvres et les bandes (dans le sens anglais de band) militaires.

Les manœuvres sont les musiciens engagés dans l’armée pour rythmer aux évolutions militaires. Ils sont considérés membres de la force régulière : à ce titre, ils sont intégrés dans des formations de combat, reçoivent une formation militaire et servent de signaleurs. Il s’agit surtout des tambours et des fifres des régiments d’infanterie, ainsi que des trompettes et clairons des régiments de cavalerie. Quant aux bandes militaires, il s’agit au départ de formations non officielles composées de musiciens professionnels civils, mais après 1811, elles sont incorporées à l’armée.

Entre 1764 et 1839, il existe pas moins de 34 bandes militaires attachées à l’armée britannique à Québec, dont les formations du 24e Régiment South Wales Borderers (1789-1800), du 1er Régiment ou Royal Scots (1812-1815) et du 60e Régiment Royal American (1787-1803 et 1817-1823). En plus des formations de l’armée régulière, quelques unités de milice ont aussi leurs propres musiciens. À Québec, seule la Bande militaire de l’Artillerie de Québec semble avoir existé entre 1760 et 1836.

L’influence des musiciens militaires au 19e siècle

On peut considérer que les musiciens militaires sont les piliers de la profession musicale québécoise. À Québec, ville de garnison (à l’instar de York/Toronto, Kingston, Montréal et Halifax), ils s’intègrent à la culture musicale locale. Plusieurs enseignent, sont organistes à l’église, vendent de la musique en feuilles, ou même fabriquent, réparent et vendent des instruments de musique. Par exemple, Jean-Chrysostome Brauneis s’établit à Québec en 1813 en qualité de musicien au sein du 70e Régiment de fantassins. Ses fonctions lui laissent le temps d’enseigner la musique et d’œuvrer dans le commerce d’instruments. En 1831, il devient directeur du Régiment d’artillerie de Québec, mais il meurt l’année suivante, lors de l’épidémie de choléra qui décime Québec.

Les musiciens militaires jouent avec les sociétés symphoniques lors de bals ou d’événements divers. Dans la mesure où les cuivres et les percussions nécessitent un apprentissage moins long que les instruments à cordes, l’usage de flûtes, hautbois, clarinettes, cors, trompettes, bassons, serpents (instrument à vent produisant un son très grave), timbales et triangles se répand au cours du 19e siècle. De plus, la puissance sonore de ces ensembles militaires, notamment grâce aux cors et aux trompettes, les rend très populaires auprès des gens de Québec! Les ensembles de musique militaire participent donc à de nombreux concerts et défilés civils. Bref, ces artistes sont très présents dans la vie culturelle du Québec.

Lorsque la garnison quitte Québec en 1871 pour rentrer en Angleterre, un vide se crée dans le domaine de la musique d’harmonie, notamment en raison de la difficulté de recruter des musiciens et des chefs qualifiés. Quelques-uns de ces musiciens militaires, fort heureusement, décident de rester au pays et forment des ensembles musicaux au sein des milices volontaires. Un remarquable chef d’harmonie, Joseph Vézina, dirige la musique du 9e bataillon des Voltigeurs de Québec de 1869 à 1879 : ce dernier deviendra le premier directeur de l’Orchestre symphonique de Québec.

Joseph Vézina vers 1930. Photo : Beaudry. BAnQ, Collection Centre d’archives de Québec, P1000,S4,D83,PV12.

Un 20e siècle mouvementé

Le premier corps de musique de l’armée à temps complet est celui de l’Artillerie royale canadienne. Constitué à la Citadelle de Québec sous le nom de Batterie B de l’Artillerie royale canadienne, il est dirigé par le chef Joseph Vézina de 1879 à 1912, auquel succède Charles O’Neill.

En 1922, le nouveau régiment canadien-français Royal 22e régiment reçoit l’autorisation de fonder un corps de musique militaire. Ce nouveau corps de musique régimentaire est constitué par les 20 instrumentistes de la Musique de l’Artillerie royale de la Garnison canadienne et son directeur, le capitaine Charles O’Neill : on acquiert aussi les instruments et la musicothèque de l’ancienne formation. Dès sa formation, la Musique du Royal 22e régiment se produit régulièrement à Québec, notamment sur la terrasse Dufferin, à la Citadelle et sur les plaines d’Abraham, ainsi qu’à Montréal.

Fanfare du Royal 22e Régiment, 1941. Photo : Herménégilde Lavoie. BAnQ, Fonds ministère de la Culture et des Communications, E6,S7,SS1,P2769.

C’est après la Deuxième Guerre mondiale que s’amorce une restructuration des ensembles de musique militaire à travers tout le pays. Ainsi, en mars 1947, tous les corps de musique actifs des forces armées régulières sont dissous. Du côté des forces régulières, on autorise la formation de 17 corps de musique dans la marine, l’armée et l’aviation. Les forces canadiennes de première réserve sont autorisées à former 64 musiques, dont 11 se trouvent dans la province de Québec. Du côté des musiques des milices volontaires, 106 ensembles de 30 membres chacun sont alloués en 1951. On peut aussi ajouter à cette liste plusieurs corps de musique des forces policières.

Après l’unification des forces canadiennes en 1968, les ensembles de musique militaire des forces régulières sont regroupés en 9 corps de musique plus importants, comprenant plus de 300 musiciens. Seuls quatre corps de musique de l’armée conservent leur identité, dont celui du Royal 22e régiment à Québec.

Portrait rapproché d’un des musiciens du Royal 22e Régiment, Québec, 1971. Photo : Gar Lunney. Bibliothèque et Archives Canada, no d’identification 4317743.

Les musiciens du Royal 22e Régiment partent souvent à l’étranger : par exemple, en Angleterre (1937) pour le couronnement de George VI, au Japon et en Corée lors du conflit coréen (1950-1953), à nouveau en Grande-Bretagne pour le couronnement d’Elizabeth II… en plus d’offrir fréquemment des prestations à la radio, puis à la télévision. Naturellement, la Musique du Royal 22e se fait entendre dans le cadre des fêtes du centenaire de la Confédération (1967), tant au Canada qu’aux États-Unis, et notamment lors d’Expo 67, puis marque en 1983 le 350e anniversaire de Québec et, l’année suivante, le 450e anniversaire de l’arrivée de l’explorateur Jacques Cartier à Québec ainsi que la visite du pape Jean-Paul II. En plus de marches militaires, son répertoire comprend des arrangements d’œuvres classiques, des fantaisies sur des airs folkloriques, de la musique de film, des comédies musicales, du jazz et de la musique populaire.

Un Festival international

Pendant une quinzaine d’années, Québec est l’hôte d’une importante manifestation : le Festival international des musiques militaires. Fondé en 1988, ce festival rassemble, au cœur du mois d’août, un grand nombre de formations musicales militaires canadiennes et étrangères, se déployant dans plusieurs lieux historiques de la ville. Le Tattoo militaire est le point culminant de l’événement.

Le 10e anniversaire du Festival coïncide avec le 400e de Québec : pour l’occasion, les Musiques hôtes de l’événement, soit celle du Royal 22e Régiment et celle des Voltigeurs de Québec, accueillent des ensembles de musique militaire provenant de près d’une quinzaine de pays, dont la Belgique, l’Allemagne, le Chili, la Norvège et la Pologne. La présence du Chœur de l’Armée rouge est alors très remarquée. Cette 10e édition d’envergure permet au Festival d’acquérir une notoriété véritablement internationale. Malheureusement, en 2013, l’événement est contraint de disparaître, ayant vu son financement amputé de manière importante.

Tattoo militaire de Québec au Colisée Pepsi, 24 août 2013. Photo: Nicolas Laffont/45eNord.ca.

Un riche patrimoine musical

On l’a bien compris : tout au long des 19e et 20e siècle, les formations musicales militaires basées à Québec se produisent lors de défilés, de dîners d’État, de concerts communautaires et de bien d’autres événements d’envergure locale, nationale et internationale. Elles participent au rayonnement de la culture musicale d’ici et d’ailleurs en offrant de nombreuses prestations, très courues et appréciées de la population de Québec.