03 avril 2019
Les plaines d’Abraham, de champ de bataille historique à grand parc romantique
Contiguës au Manège militaire Voltigeurs de Québec, les plaines d’Abraham sont l’un des points d’intérêt majeurs de la ville de Québec. Et pour cause : en plus d’être un lieu riche d’histoire et de patrimoine, il s’agit d’un site naturel splendide. Les batailles qui s’y sont déroulées en 1759 et 1760 ont marqué la mémoire collective puis, au fil des ans, l’usage de ce vaste terrain vallonné a beaucoup évolué. Petit retour dans le temps.
Une vue imprenable sur le Saint-Laurent
Les plaines d’Abraham sont situées sur le promontoire de Québec, à l’endroit où les falaises plongent abruptement à l’endroit où le fleuve se rétrécit. Cette formation géologique a été baptisée le cap Diamant, clin d’œil à l’explorateur Jacques Cartier qui, dans les années 1530, a cru y trouver des pierres précieuses. S’il ne comporte pas de diamants, le site lui-même est un joyau : il offre un point de vue spectaculaire sur le Saint-Laurent.
En s’établissant à Québec, les Français ont immédiatement perçu le potentiel des plaines. Bien drainées et exposées aux grands vents, elles ont accueilli de petites exploitations agricoles et plusieurs moulins. Elles tiennent d’ailleurs leur nom d’Abraham Martin, dit l’Écossais, un pilote de navire qui est propriétaire d’une petite portion du promontoire au 17e siècle.
Si on peut supposer qu’elle est employée couramment par les habitants de Québec dès l’époque de la Nouvelle-France, la dénomination « hauteurs d’Abraham » apparaît dans les documents officiels à la toute fin du Régime français.
Des affrontements militaires
Les plaines d’Abraham présentent également un intérêt stratégique que les dirigeants de la Nouvelle-France ont vite compris : les autorités de la colonie y ont placé des installations militaires facilitant la surveillance du fleuve.
Dans le contexte de la Guerre de Sept Ans, deux grandes batailles se dérouleront sur ce promontoire, opposant, d’une part, les armées canadiennes et françaises, et d’autre part, les armées britanniques. Le premier de ces affrontements débute à l’été 1759, lorsque la flotte et l’armée anglaises dirigées par James Wolfe se pointent devant Québec. La ville est assiégée et bombardée jour et nuit pendant plusieurs semaines tandis que, sur l’autre rive du Saint-Laurent, des villages entiers sont brûlés et rasés. L’armée française, sous les ordres du marquis Louis-Joseph de Montcalm, a installé son campement à Beauport, non loin des chutes Montmorency, croyant que l’attaque viendrait de là. Or, dans la nuit du 13 septembre, Wolfe et ses 4 800 soldats d’élite parviennent à escalader la falaise (quelque 100 mètres de hauteur) dans le but de prendre la ville par le flanc ouest. Montcalm, ses soldats et ses miliciens reviennent en catastrophe à Québec et prennent position face aux Anglais. Après à peine 20 minutes d’affrontement, des manœuvres malheureuses entraînent la défaite française. Wolfe, blessé à mort, déclare : « Je meurs content. » Montcalm, lui aussi blessé, succombe 24 heures plus tard. Assiégée, Québec capitule cinq jours plus tard.
Une seconde bataille a lieu sur les plaines d’Abraham au printemps suivant. Les Français, sous les ordres de Louis-Antoine de Bougainville, tentent de reprendre la ville de Québec occupée par l’ennemi. Cette fois, ce sont les armées françaises qui ressortent victorieuses, mais l’arrivée de navires de ravitaillement anglais redonne l’avantage aux Britanniques. Après un intermède d’administration militaire (1760 à 1763), le sort de la colonie est scellé à des milliers de kilomètres de là, par la signature du traité de Paris : la Nouvelle-France – ville de Québec comprise – est cédée officiellement à la Grande-Bretagne.
Peut-être parce qu’ils sont sensibles à la connotation biblique du nom, les Britanniques continueront d’utiliser « hauteurs d’Abraham » puis « plaines d’Abraham » pour désigner le site. Conscients de son utilité stratégique, ils vont y ériger une impressionnante citadelle, partie importante du système défensif de la ville. De grosses tours rondes, appelées les tours Martello, sont construites au début du 19e siècle pour contrer une invasion américaine.
Des usages étonnants et des événements marquants
Tout au long des 19e et 20e siècles, les plaines d’Abraham cumuleront plusieurs utilisations.
Les plaines sont utilisées pour pratiquer diverses activités sportives. Les amateurs de sports d’hiver, notamment la raquette mais aussi le ski de fond, en feront l’un de leurs terrains de jeux privilégiés. On y joue aussi au cricket, à la crosse et au football, tandis que la cavalerie militaire y organise de célèbres courses de chevaux! En 1897, Buffalo Bill et sa troupe de 300 cavaliers se produisent sur ce vaste espace. Pendant quelques décennies, de 1874 à 1915, les membres du Quebec Golf Club y joueront également.
L’espace connu sous le nom de Cove Fields comprend notamment une armurerie, une cartoucherie et un champ de tir. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, ces installations militaires seront converties en hôpital et, fait étonnant, en camp de concentration. Pour lutter contre la crise du logement qui sévit à Québec à la fin des années 1940, les bâtiments sont cédés à des familles pauvres : le secteur prend alors le surnom de « faubourg de la misère ». Ces bâtiments sont finalement démolis en 1952.
La configuration des lieux, avec ses vallons qui créent une sorte d’amphithéâtre naturel, a aussi permis d’y tenir d’importants rassemblements et de grandes célébrations. L’un de plus anciens est celui du 24 juin 1880 organisé par la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec. Parmi les manifestations de grande envergure, citons le Congrès eucharistique de juin 1938 (plus de 100 000 personnes) et le Festival international de la jeunesse francophone, ou SuperFrancoFête, en août 1974 (plus de 125 000 visiteurs). Le Carnaval de Québec y a longtemps tenu une grande partie de ses activités, dont un concours international de sculpture sur neige. Encore aujourd’hui, le Festival d’été de Québec produit de grands spectacles sur les plaines d’Abraham.
Le parc des Champs-de-Bataille
En 1908, à l’occasion du 300e anniversaire de la fondation de Québec, une partie considérable des plaines d’Abraham est convertie en parc. L’aménagement est confié à l’architecte paysagiste Frederick G. Todd qui, en respectant la topographie des lieux, y trace des avenues circulaires, des sentiers sinueux et, surtout, fait planter des milliers d’arbres, de bosquets et de fleurs ornementales, y compris des mosaïcultures, qui furent parmi les premières implantées au Canada.
Les célébrations du 300e anniversaire de Québec et de l’inauguration du parc sont grandioses : il s’y tient un pageant auquel participent 4 500 figurants costumés, ainsi qu’une grande parade militaire et une fête navale à laquelle prennent part six navires de guerre britanniques, deux français et un américain. On frappe une médaille commémorative et huit timbres-poste sont émis pour l’occasion.
Le parc des Champs-de-Bataille, aujourd’hui sous la juridiction du gouvernement canadien, occupe une superficie de plus de 100 hectares. Bien sûr, il compte de nombreux monuments liés à la mémoire militaire, dont ceux des généraux tombés au champ d’honneur, James Wolfe et Louis-Joseph de Montcalm, ainsi que la statue de Jeanne d’Arc : inaugurée en 1938, elle souligne le courage des militaires qui ont combattu sur les plaines. On peut aussi y voir une cinquantaine de plaques commémoratives, la croix du Sacrifice et (très populaires auprès des enfants!) des canons de différentes époques.
Les plaines d’Abraham aujourd’hui
De nos jours, plusieurs millions de personnes, aussi bien des résidents de Québec ou des touristes, profitent tous les ans de la beauté des plaines d’Abraham pour pratiquer des sports, assister à un spectacle ou tout simplement se détendre.
Pour y allier la dimension culturelle, l’idéal est de débuter par la visite du Musée des plaines d’Abraham : situé juste à côté du Manège militaire, il abrite une exposition permanente consacrée à l’histoire du site. On poursuit ensuite vers l’ouest en musardant au hasard des sentiers vallonnés ou encore par l’avenue George-VI en repérant les nombreux marqueurs de mémoire, dont le magnifique Jardin Jeanne-d’Arc, jusqu’au Musée national des beaux-arts du Québec. Ouvert en 1933, ce musée a connu plusieurs agrandissements successifs, le plus récent étant le splendide pavillon Pierre-Lassonde. Il ne reste plus qu’à casser la croûte dans l’un des nombreux restaurants du quartier Montcalm, particulièrement sur la rue Cartier, une artère de caractère dont l’extrémité borde les plaines. N’hésitez pas à télécharger la carte du site pour faciliter les déplacements sur les plaines et profiter pleinement de la visite.